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dimanche 1 juin 2014

Liberté

   
Avant toute chose, une petite anecdote:

Le titre initial du poème était Une seule pensée.
« Je pensais révéler pour conclure le nom de la femme que j’aimais, à qui ce poème était destiné. Mais je me suis vite aperçu que le seul mot que j’avais en tête était le mot Liberté. Ainsi, la femme que j’aimais incarnait un désir plus grand qu’elle. Je la confondais avec mon aspiration la plus sublime, et ce mot Liberté n’était lui-même dans tout mon poème que pour éterniser une très simple volonté, très quotidienne, très appliquée, celle de se libérer de l’Occupant », a confié Éluard.
 
LIBERTE
 
 
 
(Parodie du tableau: "Les amants" de Magritte)
 
 
 
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable de neige
J’écris ton nom
 
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
 
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom
 
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom
 
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom
 
Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom
 
Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom
 
Sur chaque bouffées d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
 
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom
 
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom
 
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom
 
Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes raisons réunies
J’écris ton nom
 
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom
 
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom
 
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom
 
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom
 
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attendries
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom
 
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom
 
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
 
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
 
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis née pour te connaître
Pour te nommer
Liberté
 
Paul Eluard, Poésies et vérités, 1942
 
 
 
*******
 
 
Je partage avec vous en cette nuit, un de mes plus grands trésors... Je vous livre ici mon poème préféré. Pourquoi ce soir ? Je ne sais pas vraiment moi même... Je crois que ce poème est un petit morceau de moi. Nous qui partageons ces expériences où nous offrons notre Liberté à un autre. Que les volontés de celui qui nous soumet et nous aime deviennent les nôtres, nous rendent libres. Plus je découvre ce monde, plus j'aime que l'on me pousse à visiter des abymes de plus en plus sombres et autoritaires, et plus je me sens Libre. Mais je crois que jongler avec ceux qui nous rendent Libre ne me suffit. Il ne me faut qu'un seul nom. Celui auquel on ne voudrais penser qu'une seule fois par jour, mais chaque fois durant 24h. Qu'il nous pénètre de son âme. Façonne ce que nous sommes, sans pour autant effacer ce que nous sommes. Et chaque fois, qu'une telle aspiration s'évanouirai, qu'elle qu'en soit les raisons, alors partout où vous avez écrit son nom, vous pourrez tout effacez. Avoir la chance de tout recommencer. Vous repenserez au dernier paragraphe de ce poème: "
 
"Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis née pour te connaître
Pour te nommer
Liberté".
 
Et vous serez libre de tout recommencer. D'être pénétré d'un nouveau nom. Un renouveau. Une nouvelle soumission, une nouvelle liberté, un nouvel équilibre... Funambule !
Pour les mêmes raisons que Paul Eluard je choisit ton nom,
Liberté.
 
 
 
Lee-berté.
 
 
 

1 commentaire:

  1. Ce poème est un des plus beaux que je connaisse, écrit à une époque où la liberté manquait à tous. Il ne faut pas attendre de perdre ce que l'on a de plus cher pour l'apprécier ; comme tu le dis si bien carpe diem ...
    Lee-berté, j'écris ton nom. Vis.

    Maître Mark

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